exposition Rencontre Formelle, André Delalleau et David Gommez .

 

 

 

André Delalleau / David Gommez

 

Une addiction à la soustraction.

 

C’est un vrai plaisir pour nous de vous présenter ensembles les travaux récents de David Gommez et d’André Delalleau. Deux artistes originaux qui par leurs pratiques se rejoignent sans se confondre. Ils partagent tous deux un goût de la poétique de l’accident et de la justesse. Loin d’un dogmatisme formel, ils proposent de revisiter la forme par sa matérialité sensible, sa manière d’être au monde. Ce sont deux pratiques, qui à travers un process de déconstruction de l’image, s’amusent à reconstruire une œuvre qui finit par oublier son origine, trouver son autonomie et « être là ».

 

André Delalleau trouve une partie de ses formes à travers des photographies (de paysages urbains comme de détails de la nature). Il y prélève des formes dans les vides (l’espace entre des branches, une trouée de ciel sous un pont…) ce sont presque des contre-formes. Une fois prélevées,  elles servent de base à l’élaboration d’un objet, d’une installation qui va rejouer le jeu de la peinture. Même sans pinceau, André Delalleau fait de la peinture : lumière, transparence, composition, effets, couleurs. Il cherche toujours à évacuer l’anecdote et le non-essentiel. Il ne peint pas quelque chose : il peint. Il épure par soustraction pour arriver à une autonomie formelle, trouvée généralement par tâtonnements en évitant tout excès. Avant, il présentait  le résultat de ce travail en vis-à-vis avec l’image d’origine (le vide d’origine dans la photographie). Aujourd’hui, il évacue complètement cet effet peut-être trop didactique pour offrir une véritable autonomie à la forme finale.

 

Dans les deux installations qu’il nous propose ici, l’une est préparée en atelier pour être reconstruite dans la galerie. La seconde est une proposition in-situ, réalisée sur place à partir d’une réflexion préalable sur les potentialités de certains matériaux. Pour ce travail il faut expérimenter l’espace, éviter les formes anecdotiques et surtout ne pas laisser transparaitre une construction trop échafaudée. La forme doit rester flottante, innomée et incertaine pour trouver sa force dans un renouveau du regard. Dans ces installations il utilise volontairement des matériaux de bricolage (et une intervention graphique), c’est une peinture bricolée, une apparition empirique. En y intégrant lampe et détecteur, il brouille une fois de plus le regard, l’œuvre en est d’autant plus insaisissable : est-elle donnée à voir allumée ? Éteinte ? Ou bien est-ce dans la rupture qu’elle trouve son identité ? André Delalleau introduit par l’intervention du spectateur une incapacité à voir l’œuvre en entier : lorsque l’on approche et que l’on déclenche la lumière, on est trop près pour avoir une vision d’ensemble. Lorsque l’on recule celle-ci s’éteint assez vite. Le spectateur ne peut jamais voir en même temps toutes les potentialités de l’œuvre. L’œuvre n’existe que par le regard du spectateur qui cherche sa place face à elle. La sobriété minimaliste de la forme contraste avec la complexité de son appréhension.

 

David Gommez, quant à lui, travaille à base de bois découpés. Imprimés ou assemblés, ses formes sont issues de détails d’œuvres d’art qu’il a croisé,  de chutes de formes découpées (ici aussi les vides), d’objets en bois glanés sur diverses braderies ou trouvés par hasard. Dans un premier temps il reporte les silhouettes de ces formes dans des carnets pour en faire un vocabulaire plastique qu’il agencera par superposition dans ses compositions. Ses carnets sont remplis de formes provenant souvent de détails de représentations figuratives et pourtant elles sont presque toutes exsangues de force représentative figurante. Elles deviennent des fragments informes, des abstractions qu’il agrandit ou rétrécit en fonction des besoins de ses compositions. Soustraites à leurs origines, celles-ci deviennent autonomes, irréelles, ou plutôt, concrètes.  Dans son atelier il y a partout des formes et contre-formes, en attente d’utilisation. Certaines sont imprimées ou peintes, elles sont en attente que l’artiste trouve les moyens de leur existence.

 

Les travaux, ici présentés, prennent  place dans la pure hospitalité de la feuille blanche. La plupart sont des tirages uniques. David Gommez imprime généralement plusieurs fois la même composition pour ensuite choisir le tirage dans lequel un accident, une matière ou un décalage vient révéler la composition. Les impressions sont à la fois simples et rudimentaires, les petits défauts du bois donnent de la matière aux couleurs. Souvent, la ou les formes sont imprimées plusieurs fois en superposition. Les bois découpés permettent l’utilisation des deux faces, la forme existe à l’endroit et à l’envers. L’effet produit un équilibre proche de la symétrie des tests de Rorschach, bien que le positionnement dans le cadre soit généralement décentré, cherchant un équilibre précaire dans l’espace du cadre. David Gommez utilise des encres souvent transparentes qui laissent les couches se mélanger, dans lesquelles la superposition laisse transparaitre les impressions inférieures. Dans ses œuvres, la soustraction du fond fait partie intégrante de la composition. La couleur est, dans son travail, à la fois forte et pure. Elle se donne pour elle-même et dans la mesure où elle joue avec les autres. Dans ses travaux actuels il s’autorise plus de fantaisie qu’auparavant  avec la couleur, cherchant à ne pas se laisser abuser par les codes habituels attribués à celle-ci. Il  revisite les couleurs en cherchant à les soustraire aux habitudes normatives, pour en révéler une force plus primitive. Certaines de ses matrices finissent par échapper à leur fonction d’outil pour trouver une forme physique propre et exister, une fois préparées et habillées, dans l’espace du mur et du lieu d’exposition. Ses bas-reliefs explorent les diverses manières d’exister sur le mur (flottants, encrés…), et jouent entre eux pour se révéler les uns vis à vis des autres. Les œuvres encadrées existent comme des objets en volume au même titre que les bas-reliefs.

 

Présentés ensembles, André Delalleau et David Gommez nous offrent une exposition sensible, sobre mais habitée. Le minimalisme y révèle la force des formes, leurs manières d’exister au monde. Deux pratiques de l’épure à la fois proches et pourtant propre à chacun. Une fois confrontées l’une à l’autre, elles se révèlent dans leurs singularités. C’est au spectateur de se positionner et de faire exister les œuvres entre elles. Il peut ainsi y lire les similitudes et les variations. L’espace de la galerie est à la fois en dehors et dans le monde. Il s’unifie et nous offre une expérience originale des couleurs, lumières, matériaux et formes. Chaque œuvre étant présente à la fois pour elle-même et pour former un tout avec les autres : créant ainsi un espace poétique.

 

Le dialogue entre les spectateurs et les œuvres est visuel mais peu babil. Il nous invite à faire l’expérience de l’émergence des formes. C’est une éducation du regard qu’ils nous proposent. Par la soustraction des référents trop littéraux, les vides se remplissent de sensations nouvelles, poétiques et raffinées. L’élégance des œuvres dans leurs recherches d’abstraction s’offre à nous comme une apparition. Le regard doit prendre le temps de les apprivoiser pour en apprécier la magie et  la présence. La légèreté du presque accidentel, rend ces œuvres fragiles, délicates et captivantes.

 

David Ritzinger.

 

 

 

Exposition « Rencontre formelle », du 21 septembre au 19 octobre 2013 à la Galerie Une Poussière Dans L’œil, Villeneuve d’Ascq.

 

 

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Exposition Rencontre Formelle, photographie par Fabrice Poiteaux
Exposition Rencontre Formelle, photographie par Fabrice Poiteaux

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